Hommage : Jacques Picard

Hommage à Jacques Picard

Notre ami Jacques Picard vient de s’éteindre le dimanche 16 décembre 2012, dans sa 89ème année. Il laisse quelques amis et collègues encore en vie parmi ses contemporains pour lui rendre hommage.
Une profonde amitié et estime nous liait avec Jacques, depuis notre première rencontre tout au début des années 1950, dans le Service de Biochimie de l’ancienne Faculté de Médecine de Paris que dirigeait alors Michel Polonovski. Nous étions présents à son agrégation, examen sérieux passé dans ce même service en 1955, suivi par sa prise de fonction comme professeur de biochimie à l’Ecole Nationale de Médecine à Tours (1955 – 1962). C’est en Touraine, à Azay le Rideau que sa famille a ses racines par sa femme, née Anne-Marie Jacquet, rencontrée par Jacques au cours de leurs études de médecine. La maison familiale d’Azay le Rideau s’est montrée assez confortable pour accueillir les cinq enfants du couple Picard, dans l’ordre : Isabelle, Odile, Françoise, Pierre-Emmanuel et Jean-Marc, une belle réussite familiale. Licencié ès Sciences en 1947, à 23 ans, Docteur en Médecine en 1950, Docteur ès Sciences Naturelles en 1955, Professeur Agrégé de Biochimie en 1955, le parcours universitaire de Jacques Picard est exemplaire, sans oublier qu’il a été combattant engagé volontaire à 20 ans.
Après ses études, il a assumé des charges universitaires, à Tours d’abord, ensuite à Paris au CHU St Anne, ainsi que des charges hospitalo-universitaires au même CHU. Il a quitté ses charges hospitalières en 1990.
Non moins impressionnant est son parcours de chercheur, à l’Institut National d’Hygiène, devenu l’INSERM. Entré en 1948 comme stagiaire de recherche il est devenu Directeur d’Unité en 1978 jusqu’à sa retraite.
Il a été Membre d’un nombre important de Sociétés Savantes, et à ce titre il a présidé la Société Française du Tissu Conjonctif (1992 – 1994) et la Société de Biologie (1996 – 1998) ainsi que la commission scientifique spécialisée de l’INSERM : nutrition, métabolisme, appareil digestif : physiologie, physiopathologie, pharmacologie, recherche clinique.
Ses distinctions, largement méritées, commencent par sa Médaille de Thèse à Paris en 1950, suivie par le prix Jaffé de l’Université de Paris en 1966, le Prix de l’Académie Nationale de Médecine en 1973, le prix Gustave Roussy de l’Académie de Médecine, prix quadriennal, en 1975. En 1992 il a été fait Chevalier de la Légion d’Honneur. La liste de ses fonctions électives témoigne de son dévouement pour l’administration de l’Université de Paris et des organismes de recherches, comprenant la charge de Doyen de la Faculté de Médecine St.Antoine, la Présidence du Comité Scientifique de l’INSERM et d’autres encore comme la fondation et la présidence du Conseil National des Universités.
Jacques Picard, pour parfaire ses connaissances scientifiques, a participé à de nombreux colloques internationaux, en Angleterre, aux USA, ainsi qu’à des Gordon Research Conferences de sa spécialité : les macromolécules de la matrice extracellulaire et en particulier les glycosaminoglycannes et les protéoglycannes. C’est d’ailleurs nos activités scientifiques, de recherches qui nous ont rapprochés, Jacques et moi. Parmi mes souvenirs l’un en particulier reste profondément gravé dans ma mémoire. Nous sommes allés ensemble à Londres pour participer à une réunion de la Société de Biochimie anglaise, riche encore en de grandes figures fondatrices de cette science, qui était la nôtre aussi, pour la plupart réfugiés d’Europe Centrale. Avant le colloque, nous avions rendez-vous avec un de ces grands biochimistes que Jacques connaissait bien, le Prof. Neuberger, fait récemment Commandeur de l’Empire Britannique par la Reine. Etant en avance, nous nous sommes allongés à l’ombre d’un arbre, dans l’herbe de Hyde Park, pour passer le temps et échanger des souvenirs de nos parcours, sous un soleil radieux de fin de printemps. Nous étions chaleureusement reçus par le Prof. Neuberger qui connaissait et appréciait les travaux de Jacques.
La carrière d’enseignant de Jacques Picard, dont l’énumération remplirait une page entière, témoigne de son enthousiasme de transmettre son savoir biologique et médical à la jeune génération d’étudiants de la faculté qu’il a dirigés au CHU St Antoine et en dehors, aussi bien au cours des études médicales que scientifiques au niveau du 3è cycle et post-universitaire.
Quant aux thèmes abordées au sein de son Unité de Recherche, il convient d’insister sur leurs étroite imbrication dans les grands problèmes médicaux, comme les mécanismes de la minéralisation osseuse, la sécrétion des mucines épithéliales source d’obstruction bronchique dans la mucoviscidose, les anomalies du métabolisme des lipoprotéines sanguines avec la mise en évidence de nouvelles entités pathologiques, ainsi que le mécanisme de la fonction de l’insuline, perturbée dans le diabète, en abordant l’étude du rôle central du récepteur de l’insuline. Mais ce sont certainement les travaux de l’équipe du Professeur Picard dans le domaine de la biologie et de la pathologie des tissus conjonctifs (la matrice extracellulaire) qui ont le plus contribué à sa reconnaissance internationale. Les étapes les plus remarquables de ces recherches ont été l’étude des glycoconjugés de l’oviducte et de l’utérus, puis celles des glycosaminoglycannes (mucopolysaccharides acides) et protéoglycannes, leur biosynthèse, les mécanismes de leur sulfatation et, intuition remarquable, leur rôle comme récepteurs au niveau des membranes cellulaires. De nombreuses invitations pour des conférences à des colloques et congrès internationaux ont confirmé l’importance de ces découvertes. C’est aussi grâce à ces travaux de haut niveau international que les élèves du Professeur Picard ont été accueillis après sa retraite dans d’autres services, leur assurant des carrières dignes de leur formation.
Notons aussi la très haute tenue de la présidence de Jacques Picard de la Société de Biologie comme en témoigne son discours lors de sa réunion solennelle pour la célébration du cent- cinquantenaire de sa fondation par Claude Bernard et ses collègues (C.R.Soc.Biol. 1998, 192, 781 – 783).
Ses obsèques, célébrées dans l’intimité familiale, en présence de proches anciens collaborateurs ont clôturé la vie exemplaire d’un grand universitaire et chercheur.
Au nom de tous les Membres de la Société Française de la Biologie de la Matrice Extracellulaire, nous adressons à sa femme, ses enfants et à ses proches nos sincères condoléances.

L. Robert