Hommage : Jacques-Paul Borel par François-Xavier Maquart

Jacques P. Borel est décédé à Paris le 9 Janvier 2019, à l’âge de 87 ans
Docteur en Médecine et Docteur es Sciences, Jacques Borel est né le 27 Avril 1931. Son père était psychiatre des hôpitaux et a assuré la direction de plusieurs établissements. A cette époque, les directeurs étaient logés au sein même de l’hôpital, si bien que Jacques Borel a passé une bonne partie de son enfance dans les hôpitaux psychiatriques. C’est sans doute cette immersion très précoce qui a décidé de sa vocation de médecin. Il débute ses études de Médecine à Montpellier mais rejoint rapidement Paris. Très tôt, il est séduit et attiré par la biologie et s’oriente, parallèlement à ses études médicales, vers des études scientifiques, en particulier vers la Biochimie, discipline scientifique alors en pleine expansion. A l’issue de ses études, il entre dans le prestigieux laboratoire du Professeur Max-Fernand Jayle, pionnier de l’hormonologie et découvreur de l’haptoglobine, à la Faculté de Médecine des Saints Pères. Jacques Borel y développe ses talents de chercheurs et y publie ses premiers travaux, essentiellement consacrés à l’haptoglobine, dans le Bulletin de la Société de Chimie Biologique et dans les Comptes-Rendus des Séances de l’Académie des Sciences de Paris.

En 1960, il passe le concours d’agrégation auquel il est brillamment reçu. Après un bref séjour à Nantes, il est nommé Professeur à Reims en 1963, dans un des Centres Hospitaliers et Universitaires tout nouvellement créés en France. Ses conditions d’installation à Reims sont très mauvaises. Son laboratoire hospitalier consiste en une seule pièce au sous-sol des bâtiments administratifs et il lui faudra plusieurs années de lutte et de multiples recours pour obtenir des locaux hospitaliers acceptables! Pour la partie universitaire, il n’y a pas encore de Faculté de plein exercice à Reims mais seulement une « Ecole de Médecine » qui se réduit à quelques salles d’enseignement et un laboratoire d’Anatomie situés dans les bâtiments désaffectés de l’ancienne ancienne abbaye de Saint Remi, le tout sale et désuet! Ses travaux de recherche se poursuivent donc ces premières années à Paris, avec de fréquents allers et retours par le train vers le laboratoire du Pr Jayle.

Heureusement, dès 1964, le Ministère décide la construction d’une véritable Faculté de Médecine. Celle-ci ouvre en 1966 et Jacques Borel peut enfin disposer d’un véritable laboratoire et créer une petite équipe hospitalo-universitaire. Au début, celle-ci effectue principalement des articles de Biochimie clinique (Borel et al, Clin. Chim. Acta, 1967). Mais Jacques Borel décide alors de s’orienter vers l’étude d’une famille de protéines encore mal caractérisées à l’époque : les collagènes. En quelques années, l’équipe s’élargit et les premières publications internationales commencent à sortir, d’abord dans le domaine de l’analytique avec la mise au point de plusieurs méthodes originales et performantes pour l’étude du métabolisme du collagène (Szymanowicz A.G. et al, Biochimie, 1979) mais aussi avec les premières caractérisations de facteurs extracellulaires régulant sa synthèse (Borel JP et al, Agents Actions, 1976).

En 1975, Jacques Borel part avec sa famille à Philadelphie pour passer une année sabbatique dans le laboratoire du Pr Nicholas A. Kefalides qui vient de découvrir le collagène de type IV. Ce séjour aux USA sera le point de départ d’une fructueuse collaboration qui se poursuivra jusqu’au décès de celui-ci en 2013 et permettra au laboratoire d’acquérir une nouvelle dimension nationale et internationale. Celle-ci sera officiellement reconnue en 1984 par l’obtention du label d’Unité CNRS intitulée « structure et métabolisme du collagène », que Jacques Borel dirigera jusqu’en 1994. Parmi les principales découvertes de cette période, on notera la mise en évidence de séquences peptidique du collagène de type I capables de provoquer la dégranulation des polynucléaires neutrophiles (Monboisse et al, Biochem J, 1990) ainsi que de séquences du collagène de type IV inhibitrices de cette activation (Monboisse et al., J. Biol. Chem, 1994). On notera aussi la mise en évidence de l’activité anti-tumorale du domaine NC1 du collagène de type IV (Monboisse et al, FEBS Lett., 1991), ce qui permettra plus tard de caractériser la future Tumstatine (Pasco et al, 2000). Au total, ce sont 153 publications scientifiques de Jacques P. Borel qui sont indexées dans le Web of Science, auxquelles s’ajoutent 7 ouvrages de Biochimie dont plusieurs ont fait l’objet de rééditions totalement revues et complétées ou ont été traduits en plusieurs langues.

Parallèlement au développement de son laboratoire de recherche, Jacques Borel acquiert de lourdes responsabilités administratives. Il succède à Ladislas Robert au secrétariat Général, puis à la Présidence de la Société Française du Tissu Conjonctif, devenue maintenant Société Française de Biologie de la Matrice Extracellulaire. Il est membre du Conseil de Gestion de la Faculté de Médecine jusqu’en 1989, année où il est élu Vice-Président du Conseil Scientifique de l’Université de Reims-Champagne-Ardenne.

Jacques Borel était un véritable leader, capable d’entraîner derrière lui une équipe. Exigeant avec ses collaborateurs, mais aussi sachant les encourager et les guider vers l’excellence, il a su créer de toutes pièces une unité de recherche internationalement reconnue qui a survécu à son départ et progressa encore après lui dans la reconnaissance nationale et internationale. C’était un travailleur acharné, un scientifique de haut niveau, mais c’était aussi un fin lettré, grand connaisseur de la poésie française, sa lecture favorite. Il a lui-même été l’auteur d’un essai, d’un recueil de contes et de 3 ouvrages de souvenirs qu’on peut encore aujourd’hui trouver facilement sur Internet.

Jacques Borel repose maintenant en paix dans le petit cimetière de son village du midi qu’il aimait tant. A son épouse, ses enfants et petits-enfants et toute sa famille, nous adressons nos plus sincères condoléances. Son souvenir restera dans nos mémoires.


François Xavier Maquart, MD, Ph D
Membre de l’Académie Nationale de Médecine
Professeur émérite de Biochimie et Biologie Moléculaire,
Université de Reims, France